Suite ou fin de la « géo » politique ?

Le fait nouveau et massif sur lequel il s’agit de reconstruire, c’est que la Terre n’est plus la simple toile de fond des stratégies humaines, elle en est le tissu vivant. Elle est actrice de son devenir, et quelque puissante que soit devenue notre capacité d’agir en son sein, toutes les causes et conséquences de nos actions s’y logent, parfois dans la douleur, parfois dans l’harmonie, parfois en provoquant des métamorphoses malheureuses, diminuant les potentialités de vie en son sein, parfois heureuses, capables de multiplier ces possibilités de vie. Il n’y a plus de « géo-politique » au sens où la géographie pouvait rester insensible à l’action des humains. Les affaires humaines ne peuvent plus s’envisager indépendamment de l’impact qu’elles peuvent avoir à leur pourtour. « Géo » est un acteur à part entière, et il détient des capacités de synthèse inconnues du genre humain. Il est capable d’enregistrer, de mémoriser et d’additionner toutes les innovations déployées par tous les êtres vivants, dont les humains, sur une longue période, et se réserve la possibilité de modifier certains cycles biophysiques dont dépendent toutes les formes de vie, comme le cycle de l’eau, de l’azote, du phosphore. Autant de cycles vitaux pour nous, mais dont nous ne maîtrisons aucunement, ni par nos organes des sens, ni par notre entendement, ni par nos technologies, les évolutions. On ne peut plus distinguer une géographie physique d’une géographie humaine comme s’il s’agissait de deux univers disjoints. Le volume et la puissance de nos agissements, et les réponses que la Terre nous adresse à ce sujet sont claires à présent, même si nous avons mis du temps à les interpréter. Comment faire, demande Bruno Latour, « si le territoire lui-même se met à participer à l’histoire ? … Si le Terrestre n’est plus le cadre de l’action humaine, c’est qu’il y prend part. L’espace n’est plus celui de la géographie, avec son quadrillage de longitudes et de latitudes. L’espace est devenu une histoire agitée dont nous sommes des participants parmi d’autres, réagissant à d’autres réactions. Il semble que nous atterrissions en pleine géohistoire.[1] »


[1] Bruno Latour, Où atterrir ? p. 58.

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